Les statues indiennes nous apparaissent bien souvent baroques, folkloriques.. en tous cas la plupart du temps déroutantes : certains y voient l’expression d’un monde naïf, pour ne pas dire arriéré, primitif basé sur des croyances irrationnelles que notre monde occidental scientifique, imprégné du siècle des Lumières et de la raison objective a dépassé depuis longtemps. D’autres peuvent être émerveillés par une expression totalement différente qui peut sembler sortir d’un imaginaire onirique : homme oiseau (Garuda), homme à la tête d’éléphant éléphant (Ganesh), divinités aux bras ou aux visages multiples (Ganesh, Hanuman…), dieux représentés sous une forme animale (Hanuman, le Dieu singe) ou sous des formes diverses : Shiva Yogi, Shiva Nataraja, Shiva Lingam...et prenant de multiples noms : Maharadjah, Mahesvara, Mahesha : grand dieu ou grand seigneur, Pashupati, maître des troupeaux, Yogarâja, maître du yoga, Shankara, celui qui donne la félicité, Shambhu, le bienheureux…. Pour ne noter que quelqu’un d’entre eux.
Des statues à l'apparence baroque
De même les divinités sont accompagnées d’animaux pour le moins insolites voir incongrus : des serpents, le rat (monture de Ganesh), l’oie, des monstres marins… sans compter bien entendu la fameuse vache sacrée !
Par ailleurs l’art sacré indien déroute non seulement par ses formes mais aussi par la multitude et la flamboyance de ses couleurs : les divinités sont représentées avec de multiples couleurs, souvent vives et parfois sans rapport étroit avec la réalité : visage et corps bleu de Shiva, de Krishna.. car le bleu symbolise le courage, la capacité à vaincre les forces d’aveuglement ; l’orange très présent en Inde représente le feu qui détruit l’ignorance, qui permet le renouvellement et la purification.
En fait, l’important dans la représentation d’un divinité en Inde, ce n’est pas la ressemblance avec la réalité (lorsqu’elle est possible, par exemple pour Shiva, yogi ou Parvati sa parèdre…) mais le message qui est transmis à travers cette image sacrée (appelée Murti en Inde).
L’hindouisme, une tradition spirituelle très ancienne
Ainsi tout est codifiée, chaque forme prise par une divinité à une signification bien précise : chaque nom d’une divinité correspond à un des aspects de l’absolu et cette manifestation divine va montrer des caractéristiques propres à l’enseignement qui lui est liée. Cette forme va prendre une posture, accomplir des gestes, revêtir des parures, des couleurs, porter des attributs et armes, être accompagné d’un environnement, de montures qui transmettent un message bien précis.
L’exemple de la statue de Shiva Natajara
Dans cette forme, qui est du plus pur style Chola – sud de l’Inde (9° au 13 ° après JC), Shiva est représenté en danseur cosmique : ce qui est mis en avant dans cet aspect, c’est le mouvement : la vie est mouvement, sans cesse, des cycles de naissance/mort sont à l’œuvre : c’est une évidence pour les biologistes, les scientifiques, des cellules de notre corps meurent à chaque instant et de nouvelles naissent ainsi de suite, continuellement. C’est aussi vrai dans l’existence : une journée commence, elle finit, le bébé fait place au jeune enfant qui fait place à l’ado puis au jeune adulte…
Posture : Shiva Nataraja est représenté debout dansant : cette danse représente le mouvement, le renouvellement perpétuel.
Gestes : bras droit et coude plié tenant le Damaru (tambour) : le son du damaru représente le son primordial, celui qui engendre un nouveau commencement mais aussi la pulsion rythmique de l’univers en opposition à la main gauche qui déploie le feu qui détruit et renouvelle.
Ces deux symboles mis en opposition souligne l’incessant mouvement de création/destruction qui anime constamment la vie.
Le second bras droit, coude plié avec la main fais le geste de protection (shrishti), de l’absence de peur.
Le pied gauche de Shiva écrase le nain Apasmâra qui représente l’ignorance et l’oubli (de notre vraie nature), le pied droit levé représente le refuge face aux tourbillons du monde (en lien avec Shrishti de la main) et la grâce.
Visage et coiffure : Le visage est serein, immuable au milieu de ce tourbillon, il symbolise la paix au milieu de l’agitation, notre nature divine non soumise aux aléas de l’existence. Le chignon haut symbolise la nature divine de Shiva.
Habillements : Shiva porte le cordon sacré (yajnopavita) – il est seulement habillé d’un pagne symbolisant le mouvement. Shiva très souvent représenté nu ou simplement vêtu d’une peau de bête : le message transmis est le nécessaire dépouillement du chercheur spirituel qui s’engage sur le chemin de la découverte de sa vraie nature.
Attributs et armes :la roue de feu ou roue de l’univers (naissance/destruction)
C’est une image symbolique de plus : pour être libre, il faut franchir le cercle de flammes, c’est à dire brûler les obstacles intérieurs qui nous empêche de voir notre vraie nature qui est déjà présente. C’est un symbole puissant de la purification intérieure
Dans une statue, dans une image, les enseignements peuvent être nombreux, celle de Shiva Nataraja, est particulièrement riche en symboles, d’où sa célébrité. Les brahmanes, les sages ont entre autres pour rôle de transmettre et d’expliciter ces symboles. Les indiens sont baignés dans cette tradition, tous les jours, ils vénèrent leur Ishata Devata afin de se rappeler l’essence divine de la vie.